Véhicules neufs ou d’occasion : Quelles importations pour l’Algérie ?
Le marché de l’automobile persiste dans une crise sans fin dont le début remonte à l’ère de Bouchouareb, l’ancien ministre de l’industrie.
Tout a commencé avec l’accord signé en 2012 avec Renault pour la mise en place d’un projet industriel. Deux ans plus tard, soit en 2014, l’ancien ministre de l’industrie, aujourd’hui en fuite à l’étranger, décide d’obliger les concessionnaires, de simples commerçants, à devenir des industriels, dans la fabrication de véhicules et/ou de composants automobile, au bout d’un délai de trois ans, soit au 1er janvier 2017. Cette décision prise de manière unilatérale, sans réflexion préalable, ni consultation, avait pour objectif déclaré, de réduire la facture des importations et permettre au pays de franchir le cap pour devenir à moyen terme, une plate-forme industrielle, dans le secteur de l’automobile. Ambitieux programme !
Absence d’offre de véhicules neufs depuis des années
Conçu dans la précipitation, sans tenir compte de l’indisponibilité d’un tissu de sous-traitance, d’un savoir-faire et de compétences avérées dans cette industrie de pointe, ce projet s’est vite avéré une source de gabegie et de pertes faramineuses pour le pays. La suite de l’histoire est connue de tous et aujourd’hui, le marché subit de plein fouet une crise jamais connue auparavant, faisant de l’Algérie, le seul marché au monde où l’offre sur le véhicules neufs est inexistante depuis plusieurs années. Un véritable « exploit » ! Les nombreux ministres qui se sont succédés au niveau du département de l’industrie, n’ont à ce jour, pas réussi à mettre un terme à cette situation inédite.
Aujourd’hui, après l’apparition de deux cahiers des charges (20-227 et 21-175), il est question depuis deux ans déjà, du retour vers les importations de véhicules neufs par les concessionnaires agréés. Il est également question d’autoriser les citoyens d’importer eux-mêmes, par leurs propres moyens, des véhicules d’occasion de moins de trois ans, selon l’article 110 de la loi de finance 2020. Si ces deux solutions sont mises en œuvre et en on y ajoutant les importations réalisées par les opérateurs multimarques, généralement effectuées via la licence moudjahidine, nous aurons trois types d’importations. Situation unique au monde ! Selon les promoteurs de cette variété d’importations, cela permettra au marché de se fournir de manière conséquente et mettra fin à la crise actuelle, assez rapidement.

Si l’intention est louable, il n’en demeure pas moins que de nombreux points négatifs doivent être relevés, particulièrement sur les importations de véhicules d’occasion. Outre les risques établis, de voir l’arrivée de véhicules sur-utilisés, provenant de flottes d’entreprises, le risque est également important de voir arriver des voitures accidentées, dont les documents ont été falsifiés, avec le compteur kilométrique revu à la baisse et des châssis maquillés, remis à niveau dans des réseaux spécialisés, afin de donner à ces véhicules un aspect de véhicules récents, supposés conformes aux documents attestant l’âge, la première année de mise en circulation, le kilométrage et son état général séduisant. Même dans le cas où ces véhicules sont réellement âgés de moins de trois ans, les algériens courent le risque, de subir des pannes graves en raison du fait que ces modèles sont à la norme Euro 6, alors que notre carburant est encore à la norme Euro 3. Selon les nombreux experts que nous avons consultés sur ce sujet, le risque est réel et les acheteurs de ce type de véhicules destinés à l’origine pour les marchés européens, vont connaitre des problèmes techniques, chers à réparer. Dans le même ordre d’idée, il y a lieu également de rappeler que les constructeurs ont toujours refusé de fournir à leurs représentants sur le marché algérien, des véhicules aux normes plus élevées que celles en vigueur chez nous. Le contenu technologique d’un véhicule à la norme Euro 6 est bien plus évolué que celui d’un véhicule Euro 3. La différence est visible au niveau du prix sorti d’usine.
Occasion de moins de trois ans : Un leurre !
L’année de première mise en circulation d’un véhicule d’occasion de moins de trois ans acquis en Europe, devra se situer entre 2019 et 2021. Au regard de la crise que connaissent les constructeurs en raison de leurs incapacités à se fournir en composants électroniques, les oblige depuis quelques mois à réduire leurs volumes de production. Depuis, le véhicule d’occasion fait l’objet de convoitises sur de nombreux marchés. Conséquence, sa valeur en Europe, est en constante hausse. Par ailleurs, selon les marques, les modèles et le segment, la différence sur le prix entre un véhicule neuf, Euro 6 et un véhicule neuf, Euro 3, oscille entre 4 à 9 000 Euros.
Partant de là, et tenant compte d’un taux de change Dinar/Euro, largement défavorable aux algériens, il est aisé de comprendre qu’en bout de course, le VO de moins de trois ans, reviendra nettement plus cher qu’un véhicule neuf acquis dans le réseau des concessionnaires. Ces derniers, dans le cas où ils retrouvent leur activité, vont importer des véhicules conformes aux normes de sécurité et de dépollution algériennes. À la faveur d’un business plan établi avec le constructeur, ils peuvent négocier les prix sur la base de volumes conséquents, permettant de baisser le prix unitaire. Aussi, le contrat de garantie de cinq ans, prévu dans le cahier des charges, protège les clients alors que sur les VO de moins de trois ans, il n’y a ni obligation de garantie, ni service après-vente, encore moins la disponibilité de la pièce d’origine. Tous ces paramètres devraient être pris en compte par les décideurs avant de trancher sur cette question des importations. Dans la même perspective, diversifier les types d’importations posera inévitablement la question du montant en devise que devra dépenser l’Algérie afin de se fournir en pièce de rechange.
Transition énergétique et importation de VO : Le grand paradoxe
Aussi, nous n’omettrons pas de souligner que dans le cadre de l’objectif consistant à réussir la transition énergétique, notre pays devrait abandonner l’idée de permettre l’importation de véhicules usagés. Outre les risques liés aux divers trafics par des réseaux qui se préparent à profiter de cette éventuelle ouverture du marché algérien aux véhicules d’occasion, pour se débarrasser de vieux modèles et permettre à leur parcs automobile un renouvellement plus rapide en allant davantage au véhicules propres, alors que nous, au contraire, nous risquons de prendre la direction inverse risquant de retarder davantage le renouvellement de notre parc, déjà très vieux, avec les conséquences qui en découlent sur la sécurité routière.

L’Algérie devra être bien plus ambitieuse que ça ! Les algériens ont, comme les citoyens des autres nations, également le droit d’accéder à la possession d’un véhicule neuf. A ce titre, il est impératif d’avoir des réflexions sur le long terme, les solutions intermédiaires, sans vision sur le moyen et long terme, mises en œuvre dans la précipitation, n’ont jamais rien apporté au pays. Cette précipitation nous refait commettre des erreurs largement évitables. Nous ne pouvons pas afficher la prétention de réussir la transition énergétique et en même temps, permettre l’importation de véhicules usagés. Quel paradoxe !
Enfin, la seule solution envisageable pour notre pays, dans l’état actuel des choses, et à défaut d’un projet industriel sérieux, conçu avec un grand constructeur, l’importation de véhicule neufs via le réseau des concessionnaires, reste la plus plausible. Outre la création de dizaines de milliers d’emplois directs, les concessionnaires vont permettre la collecte de montants considérables au profit du trésor public et relancer l’activité économique en pourvoyant le marché de véhicules de transport et utilitaires en tous genre, d’engins de travaux publics et agricoles, et bien entendu de véhicules deux roues et particuliers.
Cette perspective mettra un terme à la situation inédite de crise aiguë, que seul notre pays connait, en attendant l’aboutissement de pourparlers annoncés par le ministre de l’industrie, Ahmed Zeghdar, avec plusieurs constructeurs afin de relancer un véritable projet de fabrication automobile localement. Mais cela est une autre histoire…
