Hassen Khelifati, PDG d’Alliance Assurances à carvision.dz : « Le marché des assurances s’apparente à une partie de poker-menteur ! »
Le patron d’Alliance Assurances a bien voulu nous recevoir afin de nous entretenir sur la situation du marché des assurances. Il en ressort que face à une structuration dépassée, des actions doivent être mises en œuvre afin de le moderniser afin qu’il puisse exprimer tout son potentiel.
Quelle analyse faite vous sur le marché des assurances en général ?
Le marché des assurances ne peut évoluer en marge des évènements et des crises que connait notre pays. Il est de fait fortement impacté par la crise sanitaire qui a généré une crise économique aigue dans tous les secteurs d’activité. Nous le constatons quotidiennement à travers le comportement du marché, aussi bien celui des particuliers que celui des entreprises dont le pouvoir d’achat et la trésorerie ont fortement baissés. Par ailleurs, le marché est fortement marqué par ses propres contradictions et ce depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, il ne pèse qu’un milliard de Dollars alors que chez nos voisins, il pèse plus de quatre milliards de Dollars. Aussi, notre marché est largement dominé par le secteur public, à hauteur de 76%, et l’absence d’une organisation de régulation indépendante freine son évolution. Il existe également une distorsion en termes de provision et de tarifs qui n’obéit à aucune logique économique, ceci m’emmène à dire que nous disposons d’un marché potentiellement très intéressant, mais qui ne dispose pas des outils nécessaires à son éclosion. Nous avons pourtant de cesse d’appeler à revoir les conditions dans lesquelles nous travaillons. C’est un marché en perte de vitesse, j’en veux pour preuve le fait que le secteur embauche de moins en moins, pour ne pas dire presque pas. La situation financière des entreprises reste très fragile et certains bilans ne reflètent pas la réalité des engagements annoncés. Les déficits se creusent d’une année à l’autre. En fait, la structuration du marché est le véritable problème auquel nous devons trouver des solutions. C’est à mon avis, l’enjeu essentiel sur lequel les entreprises du secteur des assurances et les pouvoirs publics doivent se pencher afin de sortir du cercle vicieux dans lequel nous nous débattons depuis de nombreuses années. Nous avons proposé des solutions graduelles, même au détriment des résultats technique et financiers des entreprises du secteur, mais qui aurait pu renforcer les fondamentaux de ces mêmes entreprises. Malheureusement nous n’avons pas été entendu.
Pouvez-vous décrire la situation du marché de la branche automobile en particulier ?
Aujourd’hui, l’impact de l’absence du véhicule neuf est très apparent dans les bilans des compagnies. Ce manque à gagner est aggravé par d’autres facteurs, comme la chute du pouvoir d’achat, qui a provoqué la mutation d’une grande partie du marché vers des contrats moins coûteux, en passant de la garantie tous risques ou optionnelle, vers le contrat dommage-collision. Lorsque le véhicule neuf était disponible, 70% des contrats étaient réalisés en tous risques et 30% en dommage-collision. Actuellement c’est l’inverse. Mais ce que je voudrais vous dire, c’est que le marché des assurances des véhicules neufs n’est pas forcément aussi florissant que ce que l’on peut croire. Tout simplement parce que la guerre des prix et la forte concurrence entre les acteurs, ont fait baisser les primes de manière considérable. A titre d’exemple, en 2018 il y a eu environ 200 000 véhicules neufs qui aurait pu générer un chiffre d’affaire de 10 Milliards de dinars. En bout de compte nous n’avons capté qu’un milliard de Dinars, en raison de la guerre des prix sur les primes d’assurances. Ceci étant dit, le marché du véhicule neuf pourrait être très important si ce marché pouvait profiter d’un cadre réglementaire transparent et efficace. Cela ne pourra voir le jour que si une commission indépendante de régulation voit le jour. L’annonce du président de la république concernant la privatisation des banques publiques me laisse penser que la privatisation des compagnies d’assurances du secteur public va suivre. Ce qui changera la configuration du marché.
Selon vous, est-ce que l’assuré considère toujours l’assurance véhicule comme davantage une obligation et une contrainte, au lieu d’une protection ?
Il est vrai que l’image des compagnies d’assurance est entachée et les assurés ont tendance à nous dénigrer. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en réalité, il existe une inadéquation entre les primes collectées et les coûts des sinistres. En 2014, nous avons signé l’Accord de règlement au coût moyen établi à 34 000 Dinars. Sur l’année 2015, nous avons constaté une augmentation de ce coût moyen de 60% pour atteindre 55 000 Da, alors que la prime d’assurance quant à elle, est restée identique. Le glissement du dinar en est la cause principale. Dans la même logique, aujourd’hui ce coût moyen doit se situer autour de 70 000 Da. A titre de comparaison, le marché algérien produit 26 Dollars par tête d’habitant, le marché tunisien 71 Dollars et le marché marocain 126 Dollars. Le potentiel du marché algérien est estimé à 180 Dollars, dont 60% en assurances de personnes. Ce potentiel inexploité en raison d’un environnement inadapté, fait que les compagnies d’assurances souffrent d’une mauvaise image, dégradée et ne correspondant point aux attentes du marché. Je peux comprendre ce dur jugement des clients. En revanche, ce que je ne comprends pas, c’est l’augmentation de malversations et autres tentatives de trafic en tous genre. Malheureusement, beaucoup de clients ne trouvent d’autres solutions que d’essayer de trafiquer une déclaration, avec certaines complicités, afin de bénéficier d’un remboursement. Toutes ces incohérences et ces disfonctionnements qui tendent à se manifester de manière récurrente, sont la preuve que le marché est victime d’une structuration obsolète, dépassée et loin de considérations à même de favoriser la performance. C’est comme si c’était une partie de poker-menteur, nous vendons à bas prix tout en sachant que nous ne pourrons pas offrir le service attendu.
A quel niveau estimez-vous la baisse du chiffre d’affaires causé par l’absence de l’offre sur le véhicule neuf ?
Selon nos estimations, le manque à gagner causé par l’absence d’une offre sur le véhicule neuf est de 15% en 2019. L’an dernier, le recul du marché a était estimé à -6% alors que tout le monde s’attendait à un résultat plus mauvais encore. L’explication vient du fait que les réassureurs internationaux ont réajusté de 40% en septembre 2020, les primes des plus grands risques publics. Ce réajustement était pour nous une aubaine que nous pensons ne pas retrouver au cours de cette année. Aussi, je voudrais dire que le véhicule neuf, dont les compagnies sont aujourd’hui amputées, génère d’autre revenus grâce aux multiples assurances concernant les parcs sous-douanes, de transport et des infrastructures.
Avez-vous constaté une amélioration des déclarations sur la valeur des VO lors de la signature du contrat d’assurance ?
Nous nous retrouvons souvent face à ce phénomène de la valeur déclarative. Il est source de conflit entre l’assureur et l’assuré. A la souscription du contrat d’assurance, une déclaration de la valeur du véhicule est formulée par l’assuré. Le plus souvent, cette déclaration est bien en deçà de la valeur du véhicule. Il faut savoir qu’en cas de sinistre, le remboursement est proportionnel à la valeur déclarée. C’est ce qui provoque l’incompréhension de l’assuré qui considère à tort que l’assureur n’a pas été juste dans son cas. L’absence d’un outil de référence reconnu aussi bien par les assureurs que par les assurés, qui aurait pu jouer le rôle d’arbitre, est la raison principale de ces conflits. De notre côté, nous travaillons avec la collaboration d’un expert qui tranche sur ces situations de conflit. Aussi, à notre niveau, nous travaillons sur un système numérique mettant en œuvre une fourchette de valeurs dans laquelle devrait être positionnée la valeur du véhicule déclarée par l’assuré. Cela nous permettra de sortir la valeur proportionnelle remboursable en évitant tout conflit avec les clients.